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Grèce : la BCE lance un coup d’Etat financier

jeudi 5 février 2015

La banque centrale a lancé un ultimatum au gouvernement grec en annonçant la suppression de lignes de financement des banques grecques, qu’elle acceptait depuis 2010. Cette décision entend l’obliger à se soumettre aux termes voulus par Bruxelles. Mais la ligne dure adoptée par la BCE est gravement irresponsable : la Grèce n’est pas à l’abri d’une faillite désordonnée ni d’une panique bancaire.

À quoi joue la Banque centrale européenne (BCE), si ce n’est au pompier pyromane ? Alors que le premier ministre grec, Alexis Tsipras, et le ministre des finances, Yanis Varoufakis, bousculent tous les agendas et vont de Berlin à Londres, en passant par Paris et Rome, pour tenter d’élaborer un nouvel accord sur le sauvetage de la Grèce, le comité de la BCE a décidé, par une seule mesure technique, de mettre le nouveau gouvernement de Syriza dos au mur, mercredi 4 février.

Les responsables de la banque centrale ont annoncé que l’institut monétaire mettait un terme à partir du 28 février – dans les faits, la mesure devrait prendre effet dès le 11 février pour des raisons techniques – à la clause qui lui permettait d’accepter les titres grecs, classés aujourd’hui en junk bonds, que les banques grecques placent en dépôt de garantie pour obtenir des crédits bancaires.

Pour les banques grecques, privées de tout accès aux financements interbancaires, ce dispositif est essentiel pour assurer leur financement. La BCE, obligée par ses statuts de n’accepter que des titres sûrs (notés A), avait décidé de faire une exception pour tous les pays en crise de la zone euro, à commencer par la Grèce, dès 2010, afin d’assurer la stabilité financière du système bancaire. Brusquement, l’institut monétaire semble se poser des questions sur des titres qu’elle a acceptés depuis près de cinq ans.
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Libération
Dette grecque : « L’Allemagne veut se tailler un empire économique sans en supporter le coût »

INTERVIEW

Pour Kostas Vergopoulos, professeur à l’université Paris-VII, en mettant fin au régime en faveur des banques grecques, la BCE se range du côté d’Angela Merkel et met le nouveau gouvernement d’Aléxis Tsípras dans une position impossible.

Stupeur et tremblement à Athènes. La Banque centrale européenne (BCE), qui refuse tout ajournement de la dette grecque, a en effet annoncé mercredi soir la fin d’un régime de faveur qui permettait aux banques grecques de se refinancer auprès d’elle. Elles pouvaient jusque-là fournir, comme garanties des obligations émises par Athènes, des titres de moindre qualité que ceux que la BCE accepte normalement.

La BCE prive ainsi les banques grecques d’un canal de financement. Dès le 11 février, elles ne pourront compter que sur l’aide d’urgence en liquidité de la Banque nationale grecque. Kostas Vergopoulos, professeur émérite d’économie à l’université Paris-VII, revient, pour Libération, sur une décision très politique.
Pourquoi la BCE fait-elle pression sur le gouvernement grec ? Simple pression, coup de semonce, coup de force… comment interprétez-vous la décision de la BCE ?

Sur le plan pratique, cela ne fera pas une grande différence. Car il y a deux mécanismes de financements des banques grecques. Celui qui passait jusqu’à présent par la BCE. Et l’ELA, l’aide d’urgence en liquidités, via la Banque nationale grecque.

Les quatre plus grandes banques grecques, reconnues comme systémiques depuis le 4 octobre 2014, font en effet partie du système bancaire européen, et la BCE ne peut pas les laisser tomber. Mercredi soir, après sa décision, Mario Draghi, le patron de la BCE, a appelé dans la foulée Aléxis Tsípras, le nouveau Premier ministre grec, pour le rassurer sur ce point. Mais c’est un coup politique, pour faire pression.

Si la BCE assure que, à partir du 11 février, les banques grecques ne pourront compter pour se refinancer que sur l’aide d’urgence en liquidités de la Banque nationale grecque, c’est que cela tombe à la veille du sommet européen des chefs d’Etat et de gouvernement. Et que la BCE sait que l’Allemagne est inflexible à l’idée de toute renégociation de la dette grecque. La décision de l’institution de Francfort vient donc renforcer l’intransigeance de Berlin… Jusque-là, Tsípras pensait jouer la carte Draghi contre Merkel. Or la BCE s’aligne sur cette dernière.

Les autorités grecques parlent de « chantage ». Soit elles font des concessions et renient le mandat qui les a portées au pouvoir. Soit elles campent sur leurs positions, et risquent encore plus de se marginaliser…

Cela met le gouvernement de Syriza dans une position impossible. C’est la raison pour laquelle des manifestations de soutien vont avoir lieu aujourd’hui dans toute la Grèce.

Car Tsípras comme Varoufakis, l’actuel ministre des Finances, ont eu des positions constructives, coopératives, et modérés, privilégiant les discussions multilatérales pour un nouveau pacte européen.

Seule l’Allemagne n’a pas cédé. Elle rejette tout compromis. Et campe sur l’austérité. Veut que le salaire minimum reste à 580 euros au lieu de 750 euros, pousse pour qu’il y ait 150 000 fonctionnaires en moins, etc. Comme s’il n’y avait pas eu d’élections démocratiques.
Quels scénarios possibles envisagez-vous pour la suite ?

Difficile à dire, tout est possible, y compris un accident : la rupture. Je ne le souhaite pas et un coup tactique est encore envisageable pour qu’un compromis voit le jour. Les forces politiques nationales se sentent affaiblies, soumises à des forces économiques supranationales.

Or il y a toujours des marges de manœuvre. Et puis, les forces politiques ont toujours la main. Il n’y a qu’à voir Angela Merkel et Wolfgang Schaüble, son ministre des Finances, ce sont des politiques qui donnent le ton en Europe aujourd’hui. Une politique basée sur la loi de stupidité, comme disent de grands quotidiens américains, qui mène à la catastrophe, pour leur propre intérêt.
Mais même Barack Obama, qui a assuré le 2 février qu’« on ne peut pas continuer à pressurer des pays qui sont en pleine dépression », soutient désormais le nouveau gouvernement grec…

Il est, lui, parvenu à sortir son pays de la crise sans passer par l’austérité. Des réformes, essentielles, doivent avoir lieu, mais impossible de le faire dans une économie en chute libre. Comme je l’écrivais récemment dans vos colonnes, l’austérité a été un gâchis contre-productif.

L’ensemble des dettes souveraines de la zone euro ne cesse de croître pour se situer sensiblement à plus de 14 000 milliards d’euros et au niveau de 100% du PIB de cette zone.

Or, de l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis, la dette fédérale dépasse déjà 18 000 milliards de dollars, soit 110% du PIB américain. Pourtant, l’Amérique, malgré sa dette supérieure, ne manifeste pas de signes de récession, au contraire, son économie retrouve les 5% de croissance, tandis que son chômage est déjà passé sous la barre des 5,8% ! Or aujourd’hui, 80% des réformes que demande l’Allemagne en Grèce ont un effet récessif, rappelle le Financial Times.
Pourtant, il existe des réformes fortes, comme la lutte contre l’évasion fiscale ou la corruption. Un ministère anticorruption vient ainsi d’être créé…

C’est essentiel. Comme il est essentiel que l’Allemagne tempère ses positions jusqu’au-boutistes. L’Union européenne est une union de démocratie, pas un empire. Même si c’était un empire, il faut savoir l’entretenir, à coup de plan Marshall ou de New Deal, pour irriguer des capitaux vers l’économie réelle ; ce qu’ont fait les Britanniques ou les Américains.

Or l’Allemagne semble vouloir aujourd’hui se tailler un empire économique sans en supporter le coût minimum.

C’est un rêve irréalisable.

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Politis
Le coup d’État financier de la BCE contre la Grèce

La décision des banquiers centraux menace d’asphyxier financièrement l’Etat grec pour obliger le gouvernement d’Alexis Tsipras à renoncer à ses engagements.

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé dans un communiqué mercredi soir qu’elle avait décidé de priver les banques grecques d’une de leurs sources de financement, avec l’objectif affiché de faire plier le gouvernement d’Alexis Tsipras ou de précipiter l’asphyxie financière de l’État grec.

Cette suspension décidée par le conseil des gouverneurs « est conforme aux règles de l’eurosystème », assure le communiqué de l’institution, publié quelques heures après que le nouveau ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, avait évoqué des « discussions fructueuses » avec le président de la BCE Mario Draghi. Derrière les risettes diplomatiques, l’épreuve de force est donc belle et bien engagée. Et la BCE a tiré la première.

L’institution, non élue, avait autorisé les banques grecques à donner comme garanties les titres grecs, à condition que le gouvernement grec suive le programme de la troïka (BCE, Commission européenne, FMI). Elle justifie, dans son communiqué, sa décision de ne plus considérer ces titres comme une garantie sur la simple « présomption (...) qu’il n’est pas possible à l’heure actuelle d’anticiper une issue positive » aux négociations sur le programme d’aide international dont bénéficie Athènes.

La décision de la BCE intervient en effet alors que Yanis Varoufakis et le nouveau Premier ministre grec, Alexis Tsipras, faisaient une tournée européenne pour tenter de renégocier la dette grecque, conformément au programme de Syriza qui a gagné les élections législatives du 25 janvier.En anticipant le résultat de ces négociations, la BCE outrepasse son rôle, semble-t-il à la demande expresse de la Bundesbank, et endosse un rôle politique bien éloigné de son statut d’institution « indépendante » inscrit dans les traités. En clair, elle sanctionne sans appel le gouvernement grec pour avoir refusé de se soumettre à la troïka, refusé d’être contraint d’appliquer la même politique que son prédécesseur.

Certes « la BCE ne « coupe » pas le robinet à la Grèce », du moins pour le moment, comme le note La Tribune :

« Les banques grecques pourront toujours bénéficier de l’accès à l’aide à la liquidité d’urgence (ELA) qui, cet après-midi, a été confirmé jusqu’au 28 février, expliquent nos confrères. Avec cet accès, les banques pourront continuer à fonctionner normalement, mais pendant 25 jours. Pas un de plus. Surtout, la BCE peut couper cet aide normalement « temporaire » à tout moment. »

Mais sa décision ne s’apparente pas moins à un coup d’État financier puisqu’elle vise, contre la volonté clairement exprimée dans les urnes, à intimider le nouveau pouvoir à Athènes qui n’aura plus les moyens de se financer jusqu’à fin juin comme il l’escomptait. La BCE veut faire plier Athènes comme elle avait réussi à obtenir l’abdication de l’Irlande et de Chypre.

A ce jour, si les Vingt-huit ne l’a ramènent pas à la raison (et rien n’indique qu’ils en aient la volonté, François Hollande sans doute moins que d’autres), la BCE ne laisse guère d’autre choix au gouvernement d’Alexis Tsipras que l’austérité ou la sortie de l’euro.

Pour l’Europe, l’heure de vérité a bel et bien sonné.

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Les Echos
La BCE ferme ses guichets aux banques grecques

Faute d’un accord en vue entre Athènes et ses créanciers, la BCE ne financera plus les banques grecques. Ces dernières risquent l’asphyxie.

La décision couperet est tombée mercredi soir lors d ’une réunion du conseil des gouverneurs de la BCE , qui devait se prononcer sur la poursuite ou non d’un dispositif permettant aux banques grecques d’obtenir des liquidités de la BCE en présentant comme garanties des titres de l’Etat grec. «  Cette suspension est en ligne avec les règles existantes de l’Eurosystème, du fait qu’il est actuellement pas possible de présumer que la revue du programme (de sauvetage de la Grèce, NDLR) aboutisse à un succès  ».

En clair, la BCE met fin à une dérogation destinée à faciliter le refinancement de banques grecques et dépendant de l’existence d’un programme d’aide au pays. Or, cette condition saute de fait avec les déclarations d’Athènes voulant suspendre les liens avec la Troïka, dont la BCE fait partie avec le FMI et la Commission Européenne.

La décision de la BCE a une conséquence immédiate : à compter du 11 février prochain, les banques grecques ne pourront compter pour se refinancer que sur l’aide d’urgence en liquidités (ELA), prodiguée par la Banque Nationale Grecque. Cela s’était déjà produit en 2012, lorsqu’un défaut temporaire avait été constaté sur la dette grecque. Il faut s’attendre dans les jours à venir à ce que la banque centrale grecque doive fournir à de nombreux établissements bancaires du pays des liquidités, probablement à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Par ailleurs, la BCE précise que sa décision ne «  change rien  » aux statuts des banques grecques dans le cadre d’opérations de politique monétaire.

La visite, mercredi, du ministre des Finances grec Yánis Varoufákis à Francfort n’a donc pas modifié d’un iota l’attitude ferme de l’institution. Venu plaider en faveur de la nouvelle politique économique et sociale que son gouvernement veut mettre en place pour mettre fin à l’austérité, le ministre espérait en retour que l’institution francfortoise puisse dévier de sa ligne dure et accorder un répit à l’Etat, mais surtout aux banques grecques menacées d’asphyxie. Pas de rallonge

Il apparaît aussi que la BCE n’est pas prête à accorder à Athènes une rallonge financière, en laissant l’Etat émettre jusqu’à 25 milliards d’euros de dette à court terme -les T-Bills- au lieu du plafond de 15 milliards en vigueur jusqu’ici. Une demande du gouvernement Tsípras afin de pouvoir financer le train de vie de l’Etat.

La BCE refuse également tout ajournement de la dette d’Athènes envers elle, de l’ordre de 25 milliards d’euros. La BCE n’est pas, et de loin, le créancier, le plus important d’Athènes, mais c’est à elle que la Grèce doit rembourser dès cet été quelque 7 milliards d’euros d’obligations arrivant à échéance. Il y a bien 1,9 milliard d’intérêts sur cette dette qui vont être rétrocédés à l’Etat grec par les banques centrales de l’eurosystème, mais ils ne suffiront pas à couvrir la somme due en capital.

Dans ce contexte tendu, depuis l’arrivée de la gauche radicale au pouvoir, l’agence publique gérant les émissions de dette a vendu difficilement mercredi pour 812 millions d’euros d’obligations à six mois, au taux de 2,75 %. Les banques grecques qui ont souscrit ces titres craignaient de ne pouvoir présenter ces obligations au guichet de la BCE comme collatéral en échange de liquidités.

La décision prise en soirée par la BCE a confirmé ces craintes. Yánis Varoufákis est aujourd’hui à Berlin, où un rendez-vous crucial va se dérouler dans le bureau du ministre des Finances Wolfgang Schäuble. Plus que jamais, Athènes est plongé dans une course contre la montre pour ne pas précipiter ses banques et son économie dans la faillite.

Article publié le 8 février 2015.


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