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Jugement du TA de Paris du 11 février 2016

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PARIS
N°1430350/5-1


SYNDICAT NATIONAL CGT
FINANCES PUBLIQUES


Audience du 28 janvier 2016
Lecture du 11 février 2016


36-07-09
C+
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Paris
(5ème Section - 1ère Chambre)

Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 décembre 2014 et le 23 février 2015, le syndicat national CGT finances publiques, représenté par le cabinet Goldmann et associés, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d’annuler la décision du 14 novembre 2014 par laquelle le ministre des finances et des comptes publics a supprimé, pendant une durée d’un mois, le lien hypertexte affiché sur le site intranet de la section syndicale de la CGT de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) de la direction générale des finances publiques (DGFIP), renvoyant au site internet dudit syndicat ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
 la décision attaquée lui fait grief ;
 cette décision porte atteinte au principe de liberté syndicale et au droit à la liberté
d’expression, en méconnaissance du préambule de la Constitution et des stipulations des articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
 cette décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l’article 3-1 du décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique.

Par des mémoires, enregistrés le 4 février 2015 et le 24 mars 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête du syndicat national CGT finances publiques.
Il soutient que les moyens soulevés par le syndicat national CGT finances publiques ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
 la Constitution du 4 octobre 1958 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à laquelle renvoie son préambule ;
 la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ;
 la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
 la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
 le décret n° 82-447 du 28 mai 1982 ;
 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
 le rapport de M. ...,
 les conclusions de M. ..., rapporteur public,
 et les observations de M. ..., représentant le ministre des finances et des
comptes publics.

1. Considérant que le syndicat national CGT finances publiques a mis en ligne sur son site internet, le 5 novembre 2014, un communiqué syndical intitulé « Grève en BII le 5 novembre 2014 », dans lequel ont été mentionnés des propos attribués au directeur de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF), ainsi que des informations sur une procédure de visite et de saisie prévue à l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, devant se dérouler le même jour ; que, par un courrier en date du 14 novembre 2014, le ministre des finances et des comptes publics a informé le syndicat national CGT des finances publiques de la suppression, pendant une durée d’un mois, à compter du 26 novembre 2014, du lien hypertexte affiché sur le site intranet de la DGFIP permettant la consultation du site internet de la section syndicale de la CGT de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) de la DGFIP par les agents de ce service, depuis leurs postes de travail ; que, par la présente requête, le syndicat national CGT finances publiques demande l’annulation de cette décision ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la loi du 13 juillet 1983 : « Le droit syndical est garanti aux fonctionnaires. (…) » ; qu’aux termes de l’article 26 de la même loi : « Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal. / Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. (…) » ; qu’aux termes de l’article 3-1 du décret du 28 mai 1982 : « Le cadre général de l’utilisation par les organisations syndicales, au sein des services, des technologies de l’information et de la communication ainsi que de certaines données à caractère personnel contenues dans les traitements automatisés relatifs à la gestion des ressources humaines est fixé par arrêté du ministre chargé de la fonction publique. Cet arrêté précise également les conditions dans lesquelles sont garantis la confidentialité, le libre choix et la non-discrimination auxquelles cette utilisation est subordonnée. / Dans chaque ministère, (…) les conditions et modalités d’utilisation de ces mêmes technologies et données sont fixées par une décision du ministre ou du chef de service, après avis du comité technique correspondant. Cette décision précise les conditions dans lesquelles cette utilisation peut être réservée aux organisations syndicales représentatives au sens de l’article 3, compte tenu des nécessités du service ou de contraintes particulières liées à l’objet des facilités ainsi accordées. (…) » ; que la circulaire du ministre des finances et des comptes publics, en date du 22 août 2011, relative aux conditions d’exercice du dialogue social énonce, en son point VI-2, qu’il appartient aux organisations syndicales de s’assurer que les contenus diffusés sur leurs sites internet et sur le réseau intranet de la DGIFP ne contreviennent pas aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur et que les documents préparatoires aux groupes de travail établis par l’administration, les listes nominatives d’agents de la DGFIP relatives notamment aux mouvements de mutations et aux promotions, ainsi que toute information de nature à mettre en péril la sécurité des agents ou des locaux, ne doivent pas être rendus accessibles au public (hors DGFIP) via l’internet ; que, par ailleurs, ladite circulaire mentionne, en son point VI-3, qu’en cas d’infraction à ces règles de diffusion, la DGFIP pourra décider, dans le cas où le site de l’organisation syndicale n’est pas situé sur le réseau intranet de la DGFIP, de la suppression du lien hypertexte affiché sur l’intranet et dirigeant les utilisateurs vers le site internet du syndicat ; qu’il résulte de ces dispositions que, si l’étendue de l’obligation de réserve qui pèse sur les fonctionnaires doit se concilier avec la liberté d’expression liée à l’exercice d’une fonction syndicale, ce n’est que dans la mesure où l’expression dont il s’agit a pour objet la défense des intérêts professionnels, individuels ou collectifs, des adhérents du syndicat ;

3. Considérant que le syndicat national CGT finances publiques soutient que la décision, en date du 14 novembre 2014, par laquelle le ministre des finances et des comptes publics a supprimé, pendant une durée d’un mois, un lien affiché sur le site intranet de la direction générale des finances publiques (DGFIP), redirigeant les utilisateurs vers le site internet de la section syndicale de la CGT de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) de la DGFIP, porte atteinte au principe de liberté syndicale ; qu’il ressort des pièces du dossier que, pour prendre la décision attaquée, le ministre des finances et des comptes publics s’est fondé sur la circonstance que la section syndicale de la CGT de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) avait mis en ligne le 5 novembre 2014, sur son site internet, un communiqué syndical intitulé « Grève en BII le 5 novembre 2014 », relatant des propos attribués au directeur de la DNEF, relatifs aux négociations en cours en matière de régime indemnitaire, et mentionnant des informations sur une procédure de visite et de saisie prévue à l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, devant se dérouler le même jour ; que la décision attaquée mentionne que ces faits « constituent un manquement caractérisé à l’obligation de discrétion professionnelle applicable à tout agent de la DGFIP, y compris aux représentants syndicaux, relevant du domaine disciplinaire » ; qu’il ressort, toutefois, des pièces du dossier et, notamment, des copies d’écran du site internet de la section syndicale de la CGT de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) de la DGFIP, que l’article intitulé « Grève en BII le 5 novembre 2014 » se borne à rendre compte d’une réunion organisée par la direction de la DNEF avec les organisations syndicales, le 29 octobre 2014, au sujet de revendications concernant le régime indemnitaire des agents de ce service ; que, si cet article est rédigé sur un ton vif, il ne comporte, toutefois, ni propos injurieux, ni attaques personnelles mettant en cause la direction de la DNEF ou de la DGFIP ; qu’ainsi, ce courriel ne peut être regardé comme contrevenant à l’obligation de réserve qui s’impose à tout agent, même dans le cadre d’une activité syndicale, ou au respect dont doit faire preuve tout agent à l’égard de sa hiérarchie ; que, si le ministre des finances et des comptes publics fait valoir que la mention de l’éventuelle annulation d’une opération de contrôle fiscal prévue le 5 novembre 2014, date visée par le dépôt d’un préavis de grève, sur son site internet, ouvert à la consultation du public, porte une grave atteinte à l’obligation de discrétion professionnelle, il ressort des pièces du dossier que cette information, alors que la DNEF a pour mission principale de lutter contre la fraude fiscale, en diligentant, le cas échéant, des contrôles fiscaux, était dépourvue de toute précision permettant d’identifier le particulier ou l’entreprise visés par le contrôle fiscal ; que, par ailleurs, si, dans ses écritures en défense, le ministre des finances et des comptes publics soutient que le syndicat requérant aurait divulgué des informations confidentielles relatives à la rémunération des agents de la DGFIP, il ressort de la publication syndicale en cause que celle-ci fait seulement état des écarts existant entre les régimes indemnitaires des agents de catégorie A, B et C de la DGFIP, à la suite de la fusion entre les services de la direction générale de la comptabilité publique et de la direction générale des impôts ; que de telles informations, présentées en moyenne annuelle et par catégorie de fonctionnaires, n’ont aucun caractère confidentiel ; qu’ainsi, le communiqué syndical en cause, qui ne divulgue aucun document interne de la DGFIP ou document préparatoire à un groupe de travail établi par l’administration, ne peut être regardé comme ayant contrevenu aux objectifs visés par le point V-2 de la circulaire du 22 août 2011 relatif à la « responsabilité des organisations syndicales et de leurs membres » et ne constitue pas un manquement à l’obligation de discrétion professionnelle ; qu’en revanche, la décision par laquelle le ministre des finances et des comptes publics a bloqué tout accès au site internet du syndicat national CGT finances publiques, depuis les postes de travail de la DGFIP, pendant une durée d’un mois, porte atteinte au principe de liberté syndicale ; que la circonstance que le site internet du syndicat CGT des finances publiques était accessible aux agents, en dehors de leur temps de travail, pendant la durée de la suppression du lien sur le réseau intranet, ne peut utilement être invoquée par l’administration, dès lors notamment que ledit syndicat devait avoir un égal accès aux moyens de communication mis à la disposition des organisations syndicales de la DGFIP ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, le syndicat national CGT finances publiques est fondé à demander l’annulation de la décision du 14 novembre 2014, par laquelle le ministre des finances et des comptes publics a supprimé, pendant une durée d’un mois, le lien affiché sur son site intranet vers le site internet de la section syndicale de la CGT de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) de la DGFIP ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

4. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
« Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ;

5. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat, qui a la qualité de partie perdante, le versement au syndicat national CGT finances publiques d’une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :
Article 1er : La décision du 14 novembre 2014 par laquelle le ministre des finances et des comptes publics a supprimé, pendant une durée d’un mois, le lien affiché sur son site intranet vers le site internet de la section syndicale de la CGT de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) de la DGFIP, est annulée.

Article 2 : L’Etat versera la somme de 2 000 euros au syndicat national CGT finances
publiques au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié au syndicat national CGT finances publiques et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l’audience du 28 janvier 2016, à laquelle siégeaient :
M. ..., président,
Mme ..., premier conseiller,
M. ..., conseiller,

Lu en audience publique le 11 février 2016.
Le rapporteur,
...

Le président,
...

Le greffier,
...

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent jugement.

Article publié le 18 février 2016.


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